Dans ses remarques finales au Symposium, José Graziano da Silva, directeur général de la FAO, a déclaré : « Aujourd’hui, une fenêtre s’est ouverte sur ce qui a été pendant cinquante ans la cathédrale de la révolution verte  ». Présente au Symposium, la délégation de La Via Campesina se félicite de cette ouverture mais recommande la prudence suite aux tentatives observées lors de l’événement de cooptation de l’agroécologie.
Selon La Via Campesina, la science, les pratiques et le mouvement de l’agroécologie sont le produit de siècles d’accumulation de savoirs paysans et autochtones, autour de la connaissance des techniques de production alimentaire pour l’humanité, depuis bien avant l’invention des produits chimiques agricoles. Ces savoirs sont aujourd’hui systématisés dans un « dialogue des savoirs  », entre les sciences occidentales de l’écologie, l’agronomie, la sociologie rurale, etc. L’agroécologie a pris beaucoup d’ampleur au cours des dernières décennies, parmi les mouvements sociaux ruraux, les consommateurs, les environnementalistes et autres, en partie en raison de sa critique acerbe des, et des alternatives qu’elle représente face à la mal-nommée « révolution verte  » de l’agriculture industrielle. Pour La Via Campesina, l’agroécologie paysanne est un élément fondamental dans la construction de la souveraineté alimentaire.
Les gouvernements et les institutions, dont la majorité répond aux intérêts de l’industrie agroalimentaire nationale et transnationale, ont résisté à l’agroécologie. En réalité, parler des alternatives enracinées dans l’agroécologie a jusqu’à présent été tabou dans les institutions comme la FAO. Pourtant, cette situation a changé ces derniers temps, mais seulement partiellement.
La dégradation rapide des sols et autres ressources productives, alliée au changement climatique, ont maintenant créé une incertitude croissante quant à l’avenir de l’agriculture industrielle. Augmente aussi le nombre de scientifiques qui démontrent à travers des études et des données que l’agroécologie est une approche supérieure, tant en termes de productivité que de durabilité. Il en résulte une plus grande ouverture des institutions à l’agroécologie.
Mais cette ouverture est relative. Alors que les mouvements sociaux comme la Via Campesina voient l’agroécologie comme une alternative à l’agriculture industrielle, et soulignent son aide potentielle à transformer les tristes réalités rurales, la nouvelle ouverture institutionnelle est davantage orientée vers une version réduite de l’agroécologie. Cette version se limite à voir l’agroécologie comme rien de plus que la source de quelques nouveaux outils pour l’agriculture industrielle ; en d’autres termes, des méthodes pour réduire les impacts négatifs des pratiques agricoles industrielles sur la productivité future. Ceux qui encouragent cette approche réduite utilisent des termes tels que « durable  » ou « intensification écologique  » ou « agriculture intelligente face au climat  » pour désigner l’idée fausse que l’agroécologie est compatible avec de grandes extensions de monoculture industrielle, les pesticides et les OGM. Pour La Via Campesina, ce n’est pas de l’agroécologie mais plutôt une tentative flagrante de cooptation, qui doit être dénoncée et à laquelle il faut résister.
Une délégation de La Via a participé au Symposium à la FAO, avec les délégués du Mozambique, de l’Inde, Haïti, Cuba, Brésil, Mexique, Nicaragua et Italie. Trois des délégués étaient des intervenants. La délégation est arrivée en s’attendant au pire, prête pour une bataille continue contre la cooptation de l’agroécologie. La réalité s’est avérée un peu plus rafraîchissante, puisque la majorité des scientifiques invités en tant que conférenciers experts a présenté des visions de l’agroécologie fort semblables à celle de La Via. Ils ont pointé l’agroécologie comme une alternative de transformation, et ont mis en évidence son contenu social, politique, économique et culturel, en plus de son contenu technique. La tendance à la cooptation fut ainsi mise dans une position de minorité, même si elle était présente et évidente.
Par conséquent, le résumé des conclusions du Symposium, présenté par l’équipe chargée des rapports lors de la deuxième journée, a souligné des points positifs, y compris les affirmations suivantes :
- • l’agroécologie est basée sur un ensemble de principes, et n’est pas une boîte à outils, ni un ensemble de recettes,
- • l’agroécologie remet implicitement en question le modèle agroalimentaire contemporain, et favorise une transformation radicale, qui mettrait les paysans et l’agriculture familiale au centre du processus social,
- • l’agroécologie est basée sur un dialogue de savoirs, et doit donc lier en permanence la science à la connaissance, aux innovations et aux pratiques des paysans.
En outre, les principaux défis à relever doivent traiter des questions complexes mais urgentes, telles que :
- • les politiques publiques qui appuient et favorisent la transformation agro-écologique à l’échelle locale, nationale et régionale,
- • l’alliance des agriculteurs et des consommateurs conscients et responsables, sur base de la nécessité d’une transformation radicale vers un système alimentaire socialement juste,
- • le soutien aux efforts déployés par les mouvements sociaux ruraux pour mettre l’agroécologie à l’échelle territoriale.
Chavannes Jean-Baptiste, un leader paysan Haïtien, et membre du Comité de coordination internationale (CCI) de La Via Campesina, a déclaré que « ce symposium représente un pas dans la bonne direction pour la FAO  », mais il a lancé un avertissement concernant le conflit qui se développe « entre le bien et le mal  » sur la définition et l’avenir de l’agroécologie. Compte tenu de ce différend, il a parlé de la nécessité de spécifier « l’agriculture paysanne agroécologique  » car « l’agroécologie est un mode de vie pour nous, pas seulement un mode de production  ».
Rilma Román, une dirigeante de l’Association nationale des petits agriculteurs de Cuba (ANAP), qui est également membre du CCI de La Via, a insisté sur l’importance de la « connaissance et de la pratique paysanne comme vraie base de l’agroécologie  ». Elle a insisté sur le fait que dans des pays comme Cuba, « l’agroécologie paysanne n’est pas théorique, c’est plutôt déjà une réalité  ». Andrea Ferrante, leader de l’Association italienne des agriculteurs biologiques (AIAB), a souligné que « l’agroécologie est aussi une réalité en Europe  », mais il s’est plaint que « le cas de l’agroécologie dans le Nord fut assez ignoré dans ce Symposium  ».
Marciano da Silva, du Mouvement des petits agriculteurs du Brésil (MPA), a appelé à la vigilance, car nous allons faire face à davantage de tentatives de l’agroindustrie et des institutions de coopter l’agroécologie. Il a fait observer que, bien que la FAO et les ministres de l’agriculture de plusieurs pays qui sont intervenus lors du Symposium, aient pris des engagements publics face à l’agroécologie, « il ne tient qu’à nous de les obliger à respecter leurs engagements  ».
Renaldo Chingore João, de l’Union nationale des paysans du Mozambique (UNAC), a souligné l’importance de la reconnaissance tacite par la FAO que « la révolution verte est en déclin rapide  », et a déclaré qu’ « il est important de transmettre ce message à nos gouvernements Africains  ».
Nandini Kardahalli Singarigowda, une productrice agroécologique à succès de l’Association des agriculteurs de l’État du Karnataka en Inde (KRRS), a déclaré que « nous, les femmes paysannes de KRRS en Inde favorisons déjà avec succès l’agroécologie  », et a donc demandé : « pourquoi la FAO ne peut-elle pas faire de même ?  ».
Enfin, Chavannes Jean-Baptiste de La Via Campesina Haïti, a expliqué que « l’agroécologie est avant tout un processus social et organisationnel  ». « Cela nécessite, dit-il, des organisations paysannes et des mouvements sociaux ruraux capables de construire des processus sociaux basés sur l’apprentissage horizontal et le protagonisme paysan  ».